Bon, à vrai dire, ceci n'est pas l'article que j'avais initialement écrit pour cet exercice d'admiration dédié à Jean Malaquais (1908-1998). Turlupiné dès le début, il a fallu se rendre l'évidence que quelque chose clochait : je contournais le sujet, j'esquivais le motif principal.

En réalité, Jean Malaquais est pour moi un sujet de jalousie. Une jalousie intense et sans cesse renouvelée. 

La première mouture très insatisfaisante était un bricolage mal fagoté, un bidule de sentiments personnels, de tentative analytique et de biographie de cet auteur injustement méconnu. Non, franchement pas à la hauteur du bonhomme.

Quand on s’intéresse à la chose littéraire, sans pour autant se lancer dans l’écriture, on s’apaise facilement l’âme avec la certitude d’avoir en nous-mêmes une grande oeuvre, quelques fulgurances, de jolies petites choses bien troussées. Mais lorsqu’on découvre que notre oeuvre existe déjà, qu’elle existe déjà depuis plusieurs décennies, la jalousie jaillit par tous les pores de notre être et le désespoir nous étreint. J’ai rencontré ce sentiment désagréable avec La Maison verte de Vargas Llosa, Les trois tristes tigres de Cabrera Infante ou Les années inutiles de Benavides et d’autres encore. Et Malaquais avec les Javanais s’ajoutait à cette infâme liste.

 

Une jalousie pour le sujet des Javanais, prix Renaudot 1939

Depuis quelques années, un sujet qui est assez de celui des Javanais me tarabuste sans parvenir à lui trouver une forme définitive, précise, ferme. Sujet insaisissable pour mézigues et si limpide pour Malaquais. De quoi chatouiller l’orgueil avec un fer chauffé au rouge. Passons… Si Planète sans visa constitue sans trop de discussion le véritable chef-d’oeuvre de Malaquais, assez étrangement je garde pour ces drôles de zèbres, ces Javanais, le véritable attachement, la tendresse du premier contact. Sans doute aussi le roman des Javanais est-il plus délié, plus libre dans la forme et le fond.

 

Une jalousie pour l’homme de l’être.

La vie de ces pauvres bougres, sans patrie, sans illusion dans un réalisme poétique qui ne cesse d’étonner. Sans misérabilisme. Comment ne pas s’attacher à cette faune apatride et bigarrée (Daoud et son cousin Elahacine, l’Arménien, les Russes en perdition) ? ne pas s’émouvoir de l’histoire Magnus et son magnifique amour raté ? ne pas rire aux éclats au récit de la vie tonitruante et tumultueuse de Mister Kerrigan ? ne pas s’amuser des pathétiques représentants de l’ordre ? ne pas s’indigner des conditions de vie de tous ces pauvres gens ? Grandioses et médiocres.

Rescapés de familles brisées, chercheurs d'aventures, participants occasionnels à des révolutions ou à des contre-révolutions, débris de mouvements nationaux et de catastrophes nationales, exilés de toutes sortes, rêveurs et voleurs, lâches et demi-héros, déracinés, enfants prodigues de notre époque, telle est la population de "Java", "île flottante, attachée à la queue du diable".

Léon Trotsky
Un nouveau grand écrivain : Jean Malaquais (7 août 1939)

Une jalousie pour le style

Quel style ! Dans une langue qui n’est pas la sienne – bien que Malaquais n’ait jamais envisagé d’autre langue que le français pour la chose littéraire, Malaquais a choisi. Virtuose dans les registres, il réussit à nous embarquer. On se demande toujours comment eux réussissent là où nous échouons. Bien entendu, le talent. Et qui plus est bien, Malaquais met en scène avec une espièglerie et une brusquerie permanentes les personnages, incroyablement vivants par leur sabir drolatique et vivifiant qui entremêle le français et les langues d’ailleurs formant la langue officielle de cette île de Java. Que dire alors de la subtilité de Planète qui m’a profondément marqué, une délicatesse si difficile à trouver en cette trouble période de guerre (rappelons que le roman fut publié en 1947) avec son lot de romans manichéens et changeants.

 

Une jalousie, enfin, pour l’auteur

Pour celui qui a su se taire quand il n’avait rien à dire. Chose assez rare pour les écrivains. Après le Gaffeur, cet homme de conviction cessa le roman. Traducteur de Norman Mailer, enseignant aux Etats-Unis, s’impliquer dans les combats politiques, vivre sa vie tout simplement, ce silence obstiné fait que nous avons peu d’œuvres à nous mettre sous la dent. Et tout comme dans ses romans, on laisse Malaquais comme on laisse les personnages s’échapper pour poursuivre leurs propres routes. Car notamment pour les Javanais ou Planète le récit est une parenthèse, un œil qui scrute le coin soulevé d’un voile avant de subrepticement le rabattre lorsqu’on est découvert. Une tranche de nombreux personnages ainsi on y laisse Marc dans un abîme de perplexité ou la fausse Comtesse partir chercher sa rédemption à la fin de Planète sans Visa.

 

Et puis plus de jalousie ici

Mais une admiration respectueuse pour son chef d’oeuvre choral qu’est Planète sans Visa. Sentiment renforcé avec Coups de barre (renvoyons vers la terrible nouvelle Ivanka). Quoi qu’il en soit, Malaquais vaut le détour, il est une véritable rencontre. Les Javanais m’appellent et notre Planète sont à revisiter une fois encore. Un moment tout bonnement passionnant, une lecture qui rend profondément meilleur et plus intelligent (et un peu jaloux mais ça, c’est presque une autre histoire).

QUAND LE HASARD FAIT DU BIEN LES CHOSES...


Entre Java et Singapour, il n’y a qu’un pas. A l’occasion de vacances familiales et singapouriennes, j’entamais avec une fébrile curiosité tout d’abord les Javanais. Cette curiosité s’est très vite transformée en intérêt puis, dans la foulée, en véritable addiction. Dès qu’un quart d’heure se présentait, je filais avaler quelques pages tant et si bien que rapidement j’ai dû ralentir le rythme. Savourer le bouquin et conserver un truc à lire.
Mais vlà t-y pas que l’Empereur dans une de ses facéties coutumières (nous continuons de l’éprouver), notre bonhomme donc déclare une varicelle bien sentie à quelques jours de notre vol retour pour Paris. Du coup sorties limitées et donc plus de temps passer au chevet du Tit Gars malade. et hop Les Javanais avalés en quelques heures à peine. Comme ça, sans coup férir.
Sous le charme de cet auteur absolument envoûtant, bourré d’ironie délicate, de subtilité gracieuse, de tendresse subtile. J’aurai aimé me rendre aussitôt dans une librairie pour commencer sans plus attendre Planète sans Visa ou Coup de barre… mais j’étais à Singapour.

Pour en savoir plus sur ces livres, peu d’informations disponibles (eh oui même sur Wikipedia) sur le web,
du coup je vous renvoie vers la Société Jean Malaquais Malaquais.org.

Par souci de transparence, j’adhère à la Société Jean Malaquais depuis quelques années.
Je ne touche strictement rien pour cet article.
La motivation de cet article reposait sur l’envie de mettre en lumière le travail de réédition des ouvrages par la Société.